De Gaulle et la participation: projet inopportun ou prématuré?
La grande réforme de la participation, qui a accompagné le gaullisme politique depuis ses origines ne s’est paradoxalement traduite que par deux ordonnances et une dizaine de décrets, concentrés entre les années 1959-1961 et 1967-1968. L’image vient à l’esprit de la montagne accouchant d’une souris. Comment expliquer l’écart entre le projet et les réalisations ?
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Description
De Gaulle et la participation : projet inopportun ou prématuré ?
Louise Banet-Rivet
L’auteure :
Louise Bannet-Rivet est diplômée de l’université Paris Panthéon-Sorbonne et d’un Master de science politique de l’IEP de Rennes.
Description :
La grande réforme de la participation, qui a accompagné le gaullisme politique depuis ses origines ne s’est paradoxalement traduite que par deux ordonnances et une dizaine de décrets, concentrés entre les années 1959-1961 et 1967-1968. L’image vient à l’esprit de la montagne accouchant d’une souris. Comment expliquer l’écart entre le projet et les réalisations ?
Après avoir situé la contribution gaullienne au contexte historique de l’évolution de courant participationniste, qui a trois dimensions, philosophique, sociétale, qui serait une troisième voie entre le capitalisme et le communisme, et pratique : “faire bénéficier directement les travailleurs de toutes catégories de leur juste part à l’accroissement du travail, et aux bénéfices qui résultent de cet accroissement, en même temps qu’à l’accroissement de ceux engendrés par l’activité générale de l’entreprise à laquelle ils apportent leur concours”.
Le texte est structuré de manière chronologique, et fait le récit de l’aventure de la participation, de 1958 à 1962 avec la promulgation de la première ordonnance sur l’intéressement mais qui est reléguée au second plan par le conflit algérien, de 1965 à 1969 qui est l’occasion d’évoquer l’influence notable de Marcel Loichot, l’amendement Vallon, et l’ordonnance de 1967, enfin la postérité de cette ordonnance, de 1969 à 1972, dans le contexte de la politique sociale de Georges Pompidou, jusqu’à la nouvelle ordonnance de 1972. Le concept nous dit-elle est très riche, et il convient d’étudier son évolution et sa relation avec son contexte : pas de manière abstraite, mais dans sa mise en œuvre concrète et telle qu’appréhendée par les principaux acteurs. C’est ainsi l’occasion de revisiter une période de l’histoire française sous le prisme particulier de cette idée de la participation, qui a été étudiée par un grand nombre d’historiens. Troisième voie entre le libéralisme et le communisme, la société de participation se heurte à la double opposition des syndicats et du patronat. Cela laisse peu de place et on comprend que cette idée se soit traduite par un échec relatif. Mais cet échec, auquel l’auteur veut donner un éclairage, est aussi d’une grande richesse, à qui s’intéresse à l’histoire politique, sociale et économique.
Comment expliquer l’échec de la mise en œuvre de la participation, sorte de synthèse entre les modèles du communisme et capitalisme de l’après-guerre, dans un contexte de la guerre froide, qui en théorie pouvait faire converger les intérêts des actionnaires, des entreprises et des salariés, et alors que le gaullisme avait le soutien d’une grande partie de la population ?
Plutôt que de donner une réponse à cette question peut-être un peu formelle, Louise Banet-Rivet nous raconte l’histoire de cette période de l’après-guerre, à travers les péripéties liées à la question de la participationavec une grande justesse et subtilité : « Notre ambition est donc, elle aussi, ambivalente. Il s’agira de faire l’histoire d’un échec, tout en en révélant la richesse ».
La première partie est intitulée « de la genèse de la participation à l’ordonnance de 1959 ». Le succès des dictatures et dû à une crise de la société qui secrète des solutions totalitaires. Là se trouve peutêtre une des raisons de l’échec relatif de cette idée, qui exprimait les tensions d’un monde meurtri par la guerre et l’émergence de la guerre froide. L’idée de participation est dans ce contexte une tentative de réaliser la synthèse des aspirations de la société française, qui va perdre de sa force au fur et à mesure que le danger de la révolution s’éloigne et que l’on entre dans l’après-guerre et les trente glorieuses. « On comprend que la pensée politique et sociale du général, loin d’une théorie abstraite, est avant tout dictée par les circonstances. » Elle est à la fois contre l’impérialisme américain et l’idéologie communiste. C’est une troisième voie propre à la France et lui permettant de conserver son autonomie dans un contexte international de plus en plus tendu. L’idée de participation correspond également sur le plan de la politique interne au refus de choisir entre un marquage trop à gauche ou à droite, entre un électorat de cadre et notables du RPF d’un côté, et des leaders de l’Action ouvrière de l’autre.
La deuxième partie est intitulée « de la mort de l’intéressement à la révolution participationniste (1963-1967). » La période est marquée par le retour des contestations sociales, et par un bouillonnement d’idées sur la question sociale. Des événements comme la grève des mineurs de 1963, soutenue par l’opinion publique, et dans lequel la popularité du gaullisme est écornée, la conférence des revenus en 1963 qui de l’aveu de Raymond Barre aboutit à un projet qui est une usine à gaz, la parution de Pour une réforme de l’entreprise de François Bloch Lainé. C’est l’amendement Vallon qui remet le sujet de la participation au premier plan, en introduisant un débat sur les avantages fiscaux réservés à des stratégies d’autofinancement qui ne profiteraient qu’aux détenteurs du capital, dans un contexte de pression croissante liée à l’ouverture à la concurrence internationale et de faiblesse pour la modernisation de l’appareil productif du marché financier. L’auteur(e) rappelle que l’autofinancement assure l’essentiel de l’investissement, alors que le marché financier n’assure le financement que de 15% des entreprises privées. Dans ce débat s’inscrivent les travaux sur la réforme pancapitaliste du polytechnicien Marcel Loichot, dont l’apport au sujet de la participation est très bien résumé. « L’autofinancement résulte d’une épargne de l’entreprise, épargne que l’activité des divers collaborateurs de l’entreprise a contribué, pour une part, à former. (…) En l’état actuel de notre législation, seuls les détenteurs du capital social seront bénéficiaires de l’enrichissement des entreprises. L’épargne d’entreprise, qui joue par l’autofinancement qu’elle permet un rôle très important devrait désormais être considérée en droit pour ce qu’elle est en fait, c’est à dire comme appartenant aussi bien à ceux qui fournissent à l’entreprise leur travail qu’à ceux qui lui ont apporté les moyens de production ». L’ordonnance d’août 1967 est l’aboutissement d’une longue controverse qui oppose syndicats et patronat, aussi bien que gaullistes de gauche et de droite : épargne forcée, domestication des rapports conflictuels au sein de l’entreprise, le capitalisme populaire à l’allemande ou à l’américaine ne parle pas en France. La grande crise de 1968 va entraîner l’enterrement définitif du grand dessein de la participation.
Enfin la troisième partie porte sur les suites de l’ordonnance : la politique de participation sous la présidence de Georges Pompidou (1969-1972). Cette troisième partie est l’occasion de raconter les événements de 68 en France à travers le prisme de la participation disqualifiée : de Gaulle y voit une solution à la crise, mais son projet se heurte aux oppositions de toutes parts, et à la plus importante, celle du mouvement social. L’échec du referundum ne sonne pourtant pas le glas de la participation, car Pompidou prend le relais et avec un style très différent, décrit avec beaucoup de talent et des citations savoureuses. Par exemple, celle-ci, où Pompidou dit ce qu’il pense de la participation : « je pourrai vous dire (si je fais avec vousla participation) si je savais ce qu’est la participation ».
Cette troisième et dernière partie repère les éléments de continuité et de divergence entre l’action pompidolienne dans le domaine de la participation et celle de de Gaulle, et consacre de nombreuses pages à la politique de l’actionnariat ouvrier menée activement par Georges Pompidou, qui est un prolongement pragmatique du projet. En conclusion, « faire l’histoire de la participation, c’est avoir une porte d’entrée sur la plupart des questions économiques et sociales majeures entre 1958 et 1972 : politique des revenus, réforme de l’entreprise, planification, épargne et autofinancement, évolution du fait syndical, tensions sociales et grèves, crise de mai 1968, référendum de 1969, actionnariat ouvrier, cogestion et autogestion… » Sur les raisons de l’échec de ce grand dessein de la participation, la dernière phrase nous donne peutêtre une clé: « Finalement, la réforme de la participation est un projet trop peu capitaliste, voire incompatible avec le capitalisme dans sa logique même, mais qui a été mise en œuvre dans un esprit d’accompagnement et de promotion du capitalisme. Cette contradiction, qui est aussi une contradiction entre les discours du Général sur la participation et sa mise en œuvre effective n’a jamais été résolue. » Peu importe d’ailleurs, cette absence de résolution ne semble pas être un problème pour l’auteure. En effet, l’objectif semble être de revisiter une période de notre histoire en utilisant le prétexte de la participation, qui n’a pas provoqué de changements radicaux, et a accouché de souris seulement: deux ordonnances et une dizaine de décrets. Et dans ce récit, la controverse sur la partition est un très bon prétexte, une porte d’entrée, nous dit l’auteure. « La société bloquée, la nouvelle société, le nouveau contrat social, le changement, c’est un langage bon pour les intellectuels parisiens qui ne savent pas reconnaître une vache d’un taureau. Qu’on s’en gargarise à Saint-Germain-des-Prés, mais qu’on ne prétende pas gouverner la France avec ces amusettes. » nous dit peut-être encore Louise Banet-Rivet de son sujet, à travers cette autre citation de Pompidou.
On comprend que ce texte est très agréable à lire, qu’il restitue très bien le climat des débats de l’époque, sans apporter des réponses univoques aux questions posées.
Extrait audio
Liseuse
Table des matières et extrait du livreInformations complémentaires
Parution | 1er mars 2024 |
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ISBN | 978-2-9580354-5-7 |
Nombre de pages | 280 pages, broché |
Dimensions | 14 × 21 cm |
Poids | 340 g |
Disponible chez nos libraires partenaires
Adresse: 58, rue de l’Hôtel de ville, 75004, Paris
Tél : 01 53 69 09 16
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