Sándor Márai : le voyage comme une appréhension sensuelle du monde
A la question: qu’est-ce qu’un écrivain ? Sándor Márai répondait “Un homme chez qui la libido, ce courant vital, est plus forte que chez beaucoup d’autres.”
Sándor Márai est né en 1900, à Kassa, aujourd’hui en Slovaquie, mais à l’époque, au royaume de Hongrie, membre de l’Empire Austro-Hongrois.
Journaliste, poète, auteur dramatique, traducteur littéraire, cet écrivain brillant connaîtra dès ses premiers romans le succès avec Le Premier Amour (1928), Les Révoltés (1930), Un chien de caractère (1932), L’Étrangère (1934) et surtout Les Confessions d’un bourgeois (1934), écrits dans un style clair et réaliste.
Cet intellectuel idéaliste écrivait dans Les Confessions d’un bourgeois : «”Tant qu’on me laissera écrire, je montrerai qu’il fut une époque où l’on croyait en la victoire de la morale sur les instincts, en la force de l’esprit et en sa capacité de maîtriser les pulsions meurtrières de la horde. “
Ses nombreux articles dans le journal Újság font de Sándor Márai le chroniqueur célèbre de la vie culturelle de son pays. Encensé et adulé, il fait paraître Divorce à Buda (1935) et L’Héritage d’Esther (1939) qui sont autant de chefs-d’œuvre. Il est l’un des premiers à découvrir Kafka qu’il traduit en hongrois. En 1939, Sándor Márai et son épouse perdent leur fils, Kristóf, quelques semaines seulement après sa naissance. Ils n’auront pas d’autre enfant, mais ils adoptent János. Sándor Márai se tient à l’écart des chapelles littéraires et observe avec inquiétude la montée des régimes totalitaires.
Après la guerre, Sándor Márai assiste, avec tristesse à l’installation progressive et forcée du régime communiste dans son pays avec l’appui des troupes d’occupation. Ses valeurs, celles de sa classe sociale, la bourgeoisie, dans ce qu’elle avait de meilleur selon lui, sont peu à peu en totale opposition avec celles de son pays : la démocratie libérale garantissant les libertés fondamentales dont celles de s’exprimer et de créer librement.
En 1948, Sándor Márai est contraint de s’exiler. L’écrivain doit se résigner à l’évidence : l’humanisme est assassiné, on assiste au triomphe d’une nouvelle barbarie à laquelle, une fois de plus, le peuple se soumet. Isolé et impuissant, Márai décide de quitter son pays : « Pour la première fois de ma vie, j’éprouvai un terrible sentiment d’angoisse. Je venais de comprendre que j’étais libre. Je fus saisi de peur », écrit-il la nuit de son départ en 1948. Il sera totalement ignoré par les instances littéraires de son pays pendant toutes les années du communisme. Ses livres resteront interdits et ne seront pas édités jusqu’à la chute du régime.
Pendant ses 41 années d’exil, il poursuivra l’écriture d’une œuvre immense, en hongrois, qui comprend des romans – dont Paix à Ithaque ! et Les Métamorphoses d’un Mariage (1980), l’important récit autobiographique, Mémoires de Hongrie, des pièces de théâtres, des poèmes et des journaux intimes. Ses livres ne sont publiés que par les maisons d’édition hongroises en exil et ne peuvent circuler en Hongrie que sous le manteau. Son œuvre est régulièrement traduite en langues étrangères, mais sans pour autant rencontrer un grand succès.
Pendant son exil, Márai est resté largement oublié en Europe, à l’exception notable de quelques traductions en espagnol et en allemand. Márai ne sera redécouvert qu’après sa mort, au début des années 1990 et de manière spectaculaire, grâce aux éditions Albin Michel, qui le publient dans la collection « Les grandes traductions ».
Le 22 février 1989, Sándor Márai se donne la mort, à San Diego, près avoir vu disparaître en 1986, sa femme Llona, et en 1987, son fils, János.